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ATRO – Chapter 1, section 2-3 (French)

2. Nationalisme grec

Bien sûr, j’ai été élevée dans la religion chrétienne. J’ai été baptisée. Mes parents étaient mariés dans l’Eglise Anglicane. J’y ai été baptisée et je suis passée dans l’Eglise Grecque à Lyon. Je ne dirais pas que j’ai été rebaptisée parce qu’il n’y a pas de re-baptême, mais on m’a donné la possibilité de rejoindre l’Eglise Grecque. En tous cas, j’ai grandi entre les amis anglais de ma mère et la communauté grecque de Lyon de plus en plus nombreuse, pour la plupart des Grecs d’Asie Mineure, particulièrement à partir de 1922.

J’avais beaucoup plus tendance à me considérer comme Grecque que comme autre chose. Même l’Angleterre ne m’attirait pas autant que la Grèce. Je n’aimais pas beaucoup les amis anglais de ma mère. Je les trouvais ennuyeux. Leur conversation était ennuyeuse. Ils parlaient toujours de gens qui étaient malades. « Untel a eu une opération, untel est ‘souffrant’ ». C’était ennuyeux. Et puis l’église, l’église : « Qu’a dit le cardinal dans son homélie ? ». C’était ennuyeux.

Mais j’avais la colonie grecque, et ces Grecs étaient surtout des Grecs d’Asie Mineure. Et ils avaient une idée, tous les Grecs avaient cette idée. Ils l’appelaient la Megali Idea, la Grande Idée. Le rêve de voir tous les Grecs dans un seul Etat. Ceux de Grèce, bien sûr, ceux de Thrace, ceux de la côte d’Asie Mineure sur la Mer Noire, ceux de la côte d’Asie Mineure sur la Mer Egée. Capitale : Constantinople. La reconstruction de l’Empire Byzantin, au profit des Grecs modernes. C’était le rêve de tout le monde. Même quand ils avaient une fête de mariage ou une cérémonie quelconque, le dernier toast était pour cette idée : « Et allons à Constantinople, les enfants ». J’ai grandi avec ça.

Je n’aimais pas la Grèce à cause de la Grèce antique, et je voudrais souligner cela. Bien sûr, j’aimais la Grèce antique. J’aimais Sparte, en particulier. Mais ce n’était pas tant la Grèce antique que la Grèce moderne de mon époque et la Grèce moderne de la Guerre d’Indépendance, 1821-1830, qui m’attiraient. Ce que j’aimais dans la Grèce contemporaine, c’était ça : ils répondaient à ceux qui leur disaient qu’ils devaient entrer dans la Première Guerre Mondiale dans le camp allié pour devenir grands, pour s’agrandir en territoire : « Nous sommes petits, mais honorables ». « La Grèce, petite mais honorable ». J’aimais beaucoup cette expression.

Et puis j’aimais certains épisodes de l’histoire grecque récente comme l’épisode de Suli en 1799. Ces femmes grecques du village de Suli combattaient les Turcs. Et quand elles virent que les Turcs avaient encerclé le rocher au sommet duquel elles étaient, et que les hommes combattant plus bas étaient presque tous tués, leur alternative était le harem turc ou la mort. Elles commencèrent une danse. Elles se prirent les mains les unes les autres, et elles allèrent danser une ronde au sommet du rocher. Elles chantèrent aussi un chant qui est populaire en Grèce aujourd’hui. Je pourrais le chanter. Et chaque fois que l’une d’entre elles était proche de la falaise, elle se jetait dans le vide – avec son enfant si elle avait un enfant, ou avec ses enfants si elle en avait plus d’un. Et les deux cent cinquante moururent toutes comme ça. Je trouvais cet épisode de l’histoire grecque moderne très exaltant. Et je l’aimais. J’aimais me sentir la compatriote de ces femmes.

3. Quatre guerres

Maintenant j’ai des souvenirs de quatre guerres. La Guerre Balkanique, 1912-1913 : je me souviens des nouvelles que nous en avions, je me souviens de la part que j’y ai pris, à quel point j’étais contente quand les Grecs ont pris Salonique le 26 octobre 1912. C’était le jour de la Saint Dimitri, qui était le patron de la ville. Et je me souviens de tout ce genre de choses, tous les faits de la Guerre Balkanique. J’étais choquée que ma mère porte un ruban sur son chapeau, aux couleurs bulgares. C’était la mode en France. J’ai dit : « Pourquoi portes-tu les couleurs bulgares ? Les Bulgares sont nos ennemis ». Et ils étaient dans la Guerre Balkanique. En tous cas, ensuite il y eut la Première Guerre Mondiale, 1914. Et ensuite celle qui m’a le plus influencée, la guerre gréco-turque en 1920-1922. Et ensuite la Seconde Guerre Mondiale.

La Première Guerre Mondiale, je m’en souviens. Je me rappelle de l’école. J’allais dans une école catholique. J’ai été envoyée dans une école catholique. Et ils nous disaient : « Maintenant vous devez mettre de l’argent dans la boîte devant la Sainte Vierge Marie pour qu’elle bénisse les Alliés ». Je n’aimais pas ça. Pourquoi devait-elle bénir les Alliés ? Elle n’était pas française. Elle n’était pas anglaise. Qu’est-ce qu’elle avait à voir avec cette guerre ? J’ai dit à ma mère : « Mère, elle était de Palestine. Pourquoi devrait-elle bénir les Alliés et leur faire gagner la guerre ? ». J’ai dit : « Ne met pas d’argent dedans ». « Bien sûr, c’est stupide ». « Ne met pas d’argent dans la boîte ». « D’accord ».

Et ensuite il y a eu beaucoup de réponses qui ne me satisfaisaient pas du tout. Je posais toujours des questions et je voulais toujours penser par moi-même. Quelque chose est arrivé en 1914. Ils nous ont dit : « Les Allemands, vous voyez, sont vraiment des barbares. Ils ont traversé la Belgique, sans demander la permission du gouvernement belge ». J’ai dit : « Très bien, si on ne demande pas la permission et qu’on traverse un pays sans elle, alors on est un barbare. Très juste ».

Mais en 1915, les Français débarquèrent à Salonique en Grèce sans la permission du gouvernement grec. Et ils commencèrent non seulement à faire ça, mais ils commencèrent aussi à élargir la faille entre le Premier Ministre Venizélos et le roi de Grèce, Constantin 1er, qui était le beau-frère du Kaiser allemand7 [1]. J’ai dit : « Pourquoi ont-ils fait ça ? Ce sont des barbares s’ils ont fait ça. Si les Allemands sont des barbares pour avoir marché à travers la Belgique, les Français doivent être des barbares pour avoir débarqué en Grèce. Et les Anglais doivent être des barbares pour avoir fait le blocus des côtes grecques en 1916 et pour n’avoir rien laissé entrer. Si vous ne permettez pas l’entrée des marchandises en Grèce, elle sera affamée. Elle ne produit que de l’huile d’olive, du tabac, et c’est à peu près tout. On ne peut pas vivre de ça. Donc qu’est-ce que c’est que cette hypocrisie ? ».

Et quand la bagarre a commencé au début de décembre 1916 entre les Grecs et les marins français qui avaient débarqué ici, et que ça a fait toute une histoire en France – cinquante-quatre marins furent tués dans la bagarre avec les Grecs –, j’ai été indignée. Et ensuite les Français et les Anglais bombardèrent Athènes en décembre 1916. Ils appellent ça les « jours de novembre » en Grèce, parce que leur calendrier a treize jours de différence.

Cela me mit absolument contre les Alliés dans la Première Guerre Mondiale. J’ai pris de la craie dans l’école, et dans la soirée quand personne ne pouvait me voir, je suis allée derrière la nouvelle gare de chemin de fer et j’ai écrit sur le mur : « A bas les Alliés ! Vive l’Allemagne ! »8 [2]. Je ne savais pas ce qu’était l’Allemagne à cette époque. L’Allemagne était juste une tache de couleur sur la carte. Mais je pensais quand même que l’Allemagne ne serait jamais assez hypocrite pour me dire que des gens sont des barbares parce qu’ils font une chose, et que les gens qui font la même chose dans l’autre camp ne sont pas des barbares. Ils combattent pour la liberté, et ils combattent pour toutes les valeurs les plus élevées.

En tous cas, le temps passa. La Première Guerre Mondiale prit fin. J’étais du coté allemand à cause de l’hypocrisie des Alliés, à cause de ce qu’ils m’avaient dit : « Ceux-là étaient des barbares, et ceux-ci ne l’étaient pas. Ceux-là combattaient pour eux-mêmes, et ceux-ci combattaient pour la démocratie ». J’ai dit : « Je n’aime pas ce genre de ‘deux poids, deux mesures’ ». La guerre prit fin, et je me souviens de quelque chose d’affreux, les hurlements de la foule dans les rues : « L’Allemagne paiera ! L’Allemagne paiera ! ». Pauvre Allemagne, elle était complètement écrasée, l’Autriche aussi, et malgré ça ils hurlaient contre elle : « Elle doit payer ! Elle doit payer ! Elle doit payer ! ». Je détestais cette façon d’insister sur la défaite de l’ennemi. Ce n’était pas chevaleresque. Cela choque mon sens de la chevalerie.

Une autre chose qui me choqua beaucoup après la Première Guerre Mondiale fut le fait qu’ils envoyèrent en Allemagne toutes les troupes noires du Sénégal. Les occupants de l’Allemagne n’étaient pas français. Ils étaient sénégalais. Et je savais qu’il y avait une résistance, et j’admirais la résistance. Je n’en savais pas grand-chose. Mais je savais ce qui était dit dans les journaux. Et toujours cette idée d’humilier le pays qui avait été vaincu. Eh bien, il aurait fallu arrêter ça. Faire comme les Anciens faisaient. J’avais l’habitude de comparer les Alliés et les Allemands aux héros de la Guerre de Troie. Je connaissais la Guerre de Troie, bien sûr. Je la percevais comme si c’était une guerre contemporaine, bien qu’elle avait eu lieu 3.200 ans avant notre époque. Après les batailles, les héros se mélangeaient. Ils n’avaient pas de rancune l’un contre l’autre. J’aurais aimé que les Alliés montrent ce genre d’esprit. Mais ils étaient tout sauf chevaleresques.

 

Ce texte constitue le chapitre 1, sections 2-3 de And Time Rolls On: The Savitri Devi Interviews (Atlanta: Black Sun Publications, 2005).