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ATRO – Chapter 2, section 1 (French)

1. Camarades allemands

Je voudrais parler d’un ou deux camarades qui sont vivants ou morts maintenant. Je ne parlerai pas d’Heinrich Blume, l’un des plus proches collaborateurs du Führer, né en 1887, c’est-à-dire deux ans avant lui, le jour même de la naissance du Grand Frédéric, c’est-à-dire le 24 janvier. J’ai parlé de lui dans Pilgrimage 1 [1]. C’était un homme merveilleux. Il était ce que vous appelez Oberregierungs- und Schulrat 2 [2] sous le Troisième Reich. Mais je parlerai des  gens que j’ai rencontrés moi-même en Allemagne.

L’un d’eux est Gerda Strasdat. J’ai rencontré Gerda Strasdat à l’hôpital d’Annastift en 1956. Frau Marianne Meinecke, une amie à moi, m’avait parlé d’elle. […] Et elle m’avait donné cette adresse. Elle m’avait dit : « Cette fille a souffert pour nous, pour la cause ». Et elle l’avait fait. Je l’ai rencontrée dans sa chambre. Elle avait un bras en moins, une jambe en moins, et la moitié de l’autre jambe aussi. En fait, il lui restait un bras, le bras droit, heureusement. Et elle m’a dit qu’elle était en train de lire Gold in the Furnace. Elle connaissait l’anglais. Elle avait trente-et-un ans à cette époque, et elle en paraissait vingt-et-un ou vingt-deux. Elle faisait beaucoup plus jeune que son âge. En dépit de tout ça. Joli visage, très beau. Et mon livre lui plaisait. Et j’ai dit : « Ma chère Gerda, vous parlez de Gold in the Furnace. Je n’ai fait que l’écrire. C’est le titre d’un de mes livres. Mais vous êtes l’or dans la fournaise ».

Voilà comment elle se retrouva dans cet état. Elle fut capturée par les Britanniques, par la police britannique, après la guerre. Elle avait été la secrétaire d’un national-socialiste de très haut rang. Et on lui demanda de révéler les noms et les cachettes de cet homme et de plusieurs autres. Elle savait où ils étaient. Elle refusa de parler. Ils la frappèrent et lui donnèrent des coups de pied. Ils la battirent. Ils lui cassèrent toutes les dents, et la mirent dans un tel état, sans pouvoir la faire parler, que même les hommes qui lui firent ça ne purent pas s’empêcher de l’admirer. Ensuite elle fut envoyée dans un camp, un camp de concentration allié, naturellement. C’était au début de 1947. Après ce traitement, ses membres étaient gangrenés, à cause des coups, et ils durent lui couper un bras et ensuite une jambe et ensuite la moitié de l’autre jambe. Elle était dans le même état qu’un malheureux insecte qui aurait été torturé par de vilains enfants. Et pourtant elle souriait.

J’admirais tellement cette femme. Je l’ai revue plus tard chez son frère. Elle avait été libérée de cet hôpital où elle était restée pendant des jours et des mois, et elle vivait avec son frère et sa belle-sœur. Dans la Seilerstrasse, je crois, à Hanovre. En tous cas, c’est une parmi des milliers. Il doit y en avoir des milliers comme elle.

Une autre est Olga von Barényi qui vivait en Bohême pendant la guerre. Elle était mariée à un Allemand de ce qu’ils appellent la Tchécoslovaquie. C’était encore la Bohême. Elle s’appelle von Barényi parce que c’est son nom de jeune fille. Son père est de Hongrie et sa mère allemande, ou l’inverse, je ne sais plus. Elle était écrivain. Elle est encore écrivain. Si elle est vivante. Elle était très, très malade dernièrement. Je ne sais pas. Je ne lui ai pas encore écrit. Je vais lui écrire pour le solstice d’hiver, et j’aurai des nouvelles. Elle a écrit, entre autres, trois livres très impressionnants, Prager Totentanz, La danse de la mort de Prague, Der tote Briefkasten, et Das tote Geleise 3 [3]. Ce sont trois livres : l’un sur les événements de Prague en 1945 * [4], un sur les événements de Prague plus tard, et un sur les événements de Munich de nos jours. Comment la propagande communiste continue à Munich, et quelles choses connaissent les gens, et pourquoi, et lesquelles. Des livres très intéressants.

Le premier, bien sûr, est choquant. Il parle des jeunes Tchèques, des jeunes communistes, qui avaient juré de faire le plus de mal possible aux Allemands après la guerre, et de ce qu’ils ont fait. Des choses qu’Olga a vues de ses propres yeux. Des choses qu’elle a connues dans son propre corps. Elle fut capturée par les communistes et torturée. Elle m’a montré son dos. Son dos n’est plus qu’une plaie. On lui appliqua un fer rouge pour la faire parler. Et elle ne parla pas. Et elle m’a dit : « C’est horrible les deux ou trois premières minutes. Et ensuite, bien sûr, on ne s’habitue pas à un fer rouge, mais on a une sorte d’esprit de défi. Une force se manifeste en soi-même », dit-elle, « et on se dit : ‘j’ai supporté jusqu’à maintenant. Je supporterai jusqu’à la fin’ » – une sorte de force étrange qui vient d’ailleurs. Mais elle a dit – et je comprends très bien cela – « S’ils avaient fait ça à mon chien devant moi au lieu de le faire sur moi, je ne sais pas ce que j’aurais fait ». Je comprends ça.

Et elle m’a dit que ce genre de choses était des événements très ordinaires à Prague à cette période. Elle m’a parlé des enfants, des enfants allemands, cent trente et un d’entre eux, sortis d’un hôpital et emmurés. Ils les ont mis dans une pièce, ont fermé la porte, et les ont emmurés. Ils sont morts de suffocation, bien sûr. Après combien d’heures, après quelle angoisse, nul ne le sait. Des bébés et des petits enfants, des petites filles de deux ou trois ans, tenant leurs poupées dans leurs bras. Elle m’a raconté – et elle l’a mis aussi dans sa Prager Totentanz – l’histoire horrible de gens brûlés vivants, pendus aux lampadaires avec un feu en-dessous d’eux. Un jeune soldat, une vieille femme, seulement parce qu’ils étaient allemands. Elle m’a raconté qu’un jeune SS, dix-sept ou dix-huit ans, très jeune, avait été attaché à une table dans un cinéma de Prague, avec plein de gens autour de lui, des Tchèques. Et à coté de lui il y avait une paire de ciseaux et un couteau et un récipient plein de vinaigre. Et chacun d’eux devait venir le couper, et verser du vinaigre dans la blessure. Le couper avec les ciseaux  et un couteau et verser du vinaigre dans la blessure. Jusqu’à ce qu’il meure.

Des choses comme ça donnent honte d’être Blanc, pas d’être Aryen. Les Tchèques peuvent être des Aryens. Ce sont des Slaves. Quoi qu’ils soient, c’est une race blanche. On parle des horreurs des tortures chinoises et des choses comme ça. On peut imaginer ça dans la Chine ancienne, tout au plus dans la Chine ancienne, même pas dans la Chine d’aujourd’hui. Ou dans la Corée ancienne, où ce fut un tour de force au XIXe siècle, une grande amélioration, que les prisonniers n’aient plus les genoux fracassés. C’était une torture qu’ils avaient, avant. Ils la supprimèrent au XIXe siècle. C’était supposé être une grande amélioration. Mais quand on entend parler de ça en 1945, ça donne honte d’avoir deux jambes et d’être un être humain. C’est l’impression que ça me fait. Des animaux ne feraient pas des choses comme ça.

Une autre chose que j’ai aussi trouvée horrible dans Prager Totentanz est la manière dont les animaux étaient traités parce qu’ils appartenaient à des Allemands. Par exemple, des petits garçons et des petites filles tchèques crevant les yeux à de pauvres chevaux allemands parce que c’étaient des chevaux de la Wehrmacht. Un Tchèque au bon cœur qui ne pouvait pas supporter de voir ça essaya de l’empêcher. Ils lui firent la même chose. Ils le tuèrent. Et la fille qui le tua – c’était une fille – avait le chiffre 180 inscrit sur sa poitrine, et elle barra le zéro et mit 181. Ça voulait dire qu’elle avait tué 180 Allemands elle-même. Ils prirent un chien, le mirent sur un tas de cadavres. « Maintenant tu peux chercher ton maître ». Le pauvre chien chercha son maître en gémissant, et il finit par sortir le cadavre d’un SS tué par les Tchèques. « Oh, tu es le chien d’un SS ! Versons de l’eau bouillante sur lui ». Des choses comme ça. Couper les pattes de pauvres chats parce qu’ils appartenaient à des Allemands.

Ça m’affecte tellement que je voudrais que Prague soit rasée. Complètement rasée. Par les Russes, par les Chinois, par les Américains, par qui vous voulez. Par les extraterrestres. Je me fiche de savoir par qui. Mais un endroit où de telles choses sont arrivées – cent cinquante mille Allemands et autant d’animaux torturés à mort en 1945 –, cet endroit ne mérite pas de vivre. Et quand j’ai entendu parler du comportement des Russes dans les années 60, je me suis dit : « Eh bien, ça n’a pas d’importance ». C’étaient leurs glorieux alliés. Les Russes n’étaient pas encore entrés dans Prague. Ils les acclamèrent lorsqu’ils entrèrent. C’étaient leurs glorieux alliés. Je m’en fiche complètement qu’ils les aient écrasés sous leurs chars. Qu’avaient-ils fait ? Qu’avaient-ils fait ?

Je vous dis, parfois ça me rend malade d’être, pas une Blanche, mais un être humain. Pourquoi n’ai-je pas quatre pattes et une queue et des rayures sur tout mon corps et ma belle fourrure ? Pourquoi ne suis-je pas une tigresse ? Les tigresses sont bien meilleures que ça. Plus belles avant tout, et ensuite elles ne dont pas de telles choses. Ce sont des gens ! Des gens avec des yeux et des nez et des bouches, des gens comme vous et moi, qui ont fait ces choses. Et je dis que ce n’est pas surprenant qu’ils aient fait ces choses, parce que s’ils peuvent faire ce qu’ils font aux phoques au Canada, aux phoques qui ne leur ont rien fait, qui n’ont jamais eu d’idéologie, qui ne peuvent pas en avoir, qui ne peuvent être ni pour ni contre une idéologie, alors ils peuvent le faire aux Allemands, aux communistes ou aux fascistes, ou à des « istes » quelconques, à tout ce qui a une idéologie ou qui est supposé en avoir une. Je veux dire, les enfants allemands n’avaient pas d’idéologie. Certainement pas. Mais les Tchèques pensaient : « Oh, ils sont allemands. Leurs parents en avaient une. Ils en auront une lorsqu’ils seront grands. Ils seront nos ennemis ». C’est autre chose. C’est un autre degré de lâcheté de faire une chose horrible à un animal qui ne peut pas être pour ou contre quoi que ce soit, et de le faire, même à un enfant, qui peut être pour ou contre quelque chose, contre une chose quelconque, lorsqu’il sera grand. Il y a une différence de lâcheté. Ce sont toutes deux des choses horribles. Mais des actes de lâcheté.

Et je crois que la lâcheté est le pire vice sur terre. On ne peut pas être cruel si on n’est pas un lâche. Combattre n’est pas mauvais, combattre honnêtement. Mais combattre d’une manière sournoise, et combattre et faire des cruautés, c’est de la lâcheté. La lâcheté est la pire chose. C’est le vice le plus méprisable que je puisse imaginer. Je préférerais avoir d’autres vices. La paresse. La paresse n’est pas bonne, mais elle est moins mauvaise. Tous les autres vices sont moins mauvais [que la lâcheté]. C’est la mère de tous les vices. Mentir est une marque de lâcheté. Si on dit des mensonges, ça veut dire qu’on ne veut pas faire face aux conséquences de ce qu’on a fait ou de ce qu’on croit. Donc on préfère mentir. On ne peut pas être un menteur sans être un lâche. Il faut être un lâche pour avoir tous les vices. Il faut être un lâche.

[…]

En 1948… Hambourg était plus en ruines que Babylone. J’ai vu les ruines de Babylone, et je peux vous dire qu’elle est moins dévastée que Hambourg en 1948. Il y avait des murs noircis, rien que des murs noircis, et personne dans les rues, des rues noires. Un quai dans la gare au lieu de vingt-huit. Et en 1953 il y en avait à nouveau vingt-huit, et il y avait une ville. Merveilleux peuple ! J’ai été plus heureuse de voir la résurrection de Hambourg que de voir toute autre chose. Je me suis dit : « Où ont-ils trouvé ce courage ? Où ont-ils trouvé cette endurance ? Ils sont invincibles ! »

Et ensuite non seulement Hambourg, Nuremberg. Nuremberg a été reconstruite presque comme elle était. Grâce aux garçons et aux filles qui, sous les bombes, allaient en haut des immeubles prendre les mesures afin de les reconstruire après la guerre. Ils ont fait ça pendant la guerre. Et maintenant Nuremberg renaît. Bon, elle ne ressemble pas à l’ancienne Nuremberg, bien sûr, parce que des siècles ne sont pas encore passés depuis qu’elle a été [re-] construite. Mais dans les siècles à venir, elle aura le même aspect, plus ou moins. Au moins ils ont fait ce qu’ils ont pu.

Sur la place du marché de Münster, en 1536 – je suis désolée de le dire, mais c’est quelque chose qui est très perturbant pour moi – Jan van Leiden, Bernt Knipperdolling et Heinz Krechting 5 [5], les trois chefs des Wiedertaüfer, les Anabaptistes, furent torturés à mort devant dix mille personnes. Je déteste ces croyances étrangères qui jetèrent les Allemands contre les Allemands et les Aryens contre les Aryens pour des arguties quelconques, des choses en rapport avec une idéologie qui n’est même pas européenne. Je déteste ça. En tous cas, sous cette place du marché, sous le trottoir, il y a maintenant dix mille personnes, des descendants  de ceux qui ont regardé ça, qui sont ensevelis là, du fait des bombardements. Et la place du marché a été reconstruite. Les maisons avec les toits inclinés et les pignons et tout ça. Tout est là, exactement comme c’était. Exactement comme c’était. Et tant d’autres villes. Ils ont fait de leur mieux. C’est merveilleux de voir l’Allemagne depuis 48. Je n’ai pas pu revenir avant 53. Cinq années seulement s’étaient écoulées entre les deux, et en cinq ans j’ai vu ces prodiges. Et l’esprit, qui grandit.